Newsletter Legal & Tax Alert #10

Newsletter Legal & Tax Alert #10 | Avril 2023
Nous sommes ravis de vous faire partager notre Lettre Juridique et Fiscale, qui reprend les points clefs de l’actualité législative et jurisprudentielle du mois d’avril.
Vous y retrouverez notamment des informations sur l’imputation des crédits d’impôt étrangers et sur l’application du plafond pour l’imputation des déficits, mais aussi sur l’assouplissement de la procédure en cas de perte de la moitié du capital social, ou encore sur les risques de contentieux en matière de rupture de périodes d’essai.

Brève | Absence de report des crédits d’impôts étrangers non imputés

Par Kahina Touami, Avocate | Mazars Société d’Avocats

Dans une décision publiée le 8 mars 2023[1], le Conseil d’Etat confirme l’impossibilité pour les sociétés déficitaires françaises de reporter les crédits d’impôts de source étrangère, qui n’ont pas pu être utilisés, sur les exercices fiscaux ultérieurs.

La Cour souligne que les sociétés en situation déficitaire ne sont pas soumises à une double imposition juridique, puisque non assujetties à l’impôt français sur l’exercice de perception des revenus. La Cour rappelle également que le droit interne et l’article 220 du Code général des impôts ne prévoient aucun mécanisme de report en avant des crédits d’impôts étrangers n’ayant pas pu être imputés par une société déficitaire. Ainsi, les crédits d’impôt étrangers doivent être imputés sur l’impôt français dû au titre de l’année d’imposition au cours de laquelle les revenus sont perçus. La Cour précisé que les conventions fiscales ne contiennent par ailleurs aucune disposition permettant aux entreprises françaises de reporter de tels crédits.

Le Conseil d’Etat a considéré que l’absence de report en avant des crédits d’impôt non imputés ne constituait pas une violation du principe de libre circulation des capitaux. Le fait que les entreprises déficitaires supportent la charge des retenues à la source étrangères alors que les entreprises bénéficiaires bénéficient d’un crédit pour impôt étranger est justifié par une différence de situation en matière de double imposition juridique.

Source : Conseil d’Etat, 8 mars 2023, n° 456349, Natixis.

[1] Conseil d’Etat, 8 mars 2023, n° 456349, Natixis.

Brève | Période d'essai adaptation au droit européen

Par Wolfgang Fraisse, Avocat | Mazars Société d’Avocats et Coraline Coriasco, Juriste en droit social | Mazars Société d’Avocats 

L’article L.1221-22 du Code du travail prévoit que les durées de période d’essai fixées à l’article L.1221-21 du Code du travail ont un caractère impératif à l’exception des durées plus longues fixées par les accords de branche conclus avant la loi n°2008-596, des durées plus courtes fixées par accords collectifs conclus après la loi n°2008-596 et des durées plus courtes fixées dans le contrat de travail.

Or la loi DDADUE du 9 mars 2023 n°2023-171 (article 19) modifie l’article L.1221-22 du Code du travail en supprimant son deuxième alinéa et met un terme au régime dérogatoire des durées conventionnelles supérieures aux durées légales.

Ainsi, les durées plus longues fixées par les accords de branche conclus avant la loi n°2008-596 ne sont plus applicables à la relation de travail à compter du 9 septembre 2023.

Si cette suppression a pour objectif de transposer la directive européenne n°2019-1152, elle invite à la plus grande diligence des employeurs qui souhaiteraient rompre une période d’essai au-delà de la durée légale par application des dispositions conventionnelles.

En effet, à compter du 9 septembre 2023 la période d’essai ne pourra être rompue qu’en application des durées suivantes :

  • Durées légales de l’article L.1221-21,
  • Durées contractuelles plus courtes,
  • Durées conventionnelles plus courtes.

Il ne fait nul doute qu’un contentieux en la matière se profile au sein des tribunaux avec un risque de requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Brève | Autorité de la chose jugée au pénal en droit du travail

Par Wolfgang Fraisse, Avocat | Mazars Société d’Avocats  et Coraline Coriasco, Juriste en droit social | Mazars Société d’Avocats 

Le principe d’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil édicté par l’arrêt Quertier de 1855 a imprégné la matière sociale notamment s’agissant de la faute inexcusable.

Initialement, la jurisprudence a admis que la condamnation de l’employeur au pénal n’obligeait pas le juge civil à reconnaître la faute inexcusable (soc.25 juin 1981 n°80-13.583). A contrario, la relaxe au pénal interdisait au juge civil de constater la faute inexcusable (soc.3 octobre 1973 n°72-14.477).

Par suite, cette dernière solution a été remise en cause par l’article 4-1 du Code de procédure pénale qui consacre un principe d’autonomie de la faute pénale et de la faute civile.

Partant, la relaxe au pénal ne faisait plus obstacle à la reconnaissance d’une faute inexcusable en matière de sécurité sociale et rien ne justifiait que la juridiction civile sursoit à statuer (soc.12juillet 2001 n°99-18.375, 2ème civ.,16 septembre 2003 n°01-16.715).

Pourtant, le 1er décembre 2022 (n°21-10.773) la Cour de cassation a effectué un retour au principe de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil. Ainsi, dès lors que le juge pénal a écarté un manquement aux règles de sécurité, le juge civil ne peut retenir la faute inexcusable.

La concomitance d’une action pénale et civile doit donc être mise en œuvre avec la plus grande diligence, nuance faite que cette autorité ne prévaut que pour les faits matériels qui ont été soumis au juge pénal.

Cette solution est contestable en ce que la faute inexcusable en matière sociale est une faute sui generis qui ne peut être indissociable de la faute pénale.

Cependant, l’on peut s’interroger sur la pérennité de cette solution puisque la Cour de cassation a jugé que le juge prud’homal pouvait retenir la qualification de harcèlement moral alors même que cette qualification a été rejetée par la juridiction pénale (Soc.18 janvier 2023 n°21-10.233).

Brève | Possibilité de cumul des différents mécanismes d’imputation des déficits en cas de restructuration d’un groupe intégré : à propos de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, 11 février 2021, n°18VE02536, min. c/ Sté Direct Énergie

Par Laurent Tasocak, Avocat | Mazars Société d’Avocats

Par principe, la cessation d’un groupe fiscal emporte le transfert à l’ancienne société mère de l’intégralité du déficit d’ensemble du groupe dissous, une fois les conséquences de cessation tirées (art. 223 du code général des impôts).

Ce déficit d’ensemble transmis à l’ancienne société mère acquiert la nature de déficit propre de cette dernière, avec pour conséquence qu’il ne peut plus être imputé que sur ses bénéfices propres. Ainsi, si cette société rejoint un nouveau groupe, le déficit d’ensemble de l’ancien groupe aura ainsi la nature d’un déficit propre antérieur à l’entrée de l’ancienne société mère dans le nouveau groupe fiscal.

Toutefois, dans le cas de certaines restructurations limitativement énumérées par la loi (par exemple, l’absorption de la société mère d’un groupe fiscal ou son acquisition à 95 % au moins), le déficit d’ensemble de l’ancien groupe peut, sur option, être utilisé pour compenser non seulement les bénéfices de l’ancienne société mère mais aussi les bénéfices des sociétés membres de l’ancien groupe qui sont devenues membres du nouveau groupe ; il s’agit du mécanisme d’imputation sur une base élargie.

Dans ce contexte, il est possible de se retrouver avec trois assiettes de déficits au sein d’un groupe fiscal :

  • La première correspondant aux déficits propres de l’ancienne société mère et d’une de ses filiales antérieures à leur entrée dans la nouvelle intégration, imputables sur leurs résultats individuels ;
  • La seconde correspondant aux déficits d’ensemble du groupe ayant cessé, imputables sur une base élargie ;
  • La troisième correspondant au déficit d’ensemble généré par le nouveau groupe d’intégration fiscale, imputable sur le résultat d’ensemble de ce groupe.

Par cet arrêt du 11 février 2021, la cour administrative d’appel de Versailles a apporté (semble-t-il pour la première fois) des précisions importantes sur l’ordre d’imputation des déficits au sein d’un groupe fiscal intégré.

Faisant échec à la position de l’administration fiscale considérant que la règle du plafond prévue au I de l’article 209 du code général des impôts ne trouve à s’appliquer qu’une seule fois pour la totalité des assiettes de déficits, la cour administration d’appel de Versailles juge que « le plafond défini par le troisième alinéa du I de l’article 209 du CGI (…) s’applique pour chaque mécanisme d’imputation de déficit, et ne constitue pas un plafond unique qui viendrait limiter la somme des déficits imputables. »

On rappelle que le I de l’article 209 du code général des impôts dispose que le déficit constaté au titre d’un exercice ne peut être déduit du bénéfice de l’exercice suivant que dans la limite d’un montant de 1 m€, majoré de 50 % de la fraction du bénéfice qui excède cette limite. Dit autrement, le juge d’appel considère que cette limite doit s’appliquer trois fois, consécutivement, pour chaque assiette de déficits, de manière autonome, et ce peu importe que ce plafond ait été ou non consommé dans les autres étapes d’imputation.

Brève | Une clarification attendue sur le quantum de l’imputation de l’impôt payé à l’étranger sur la quote-part de frais et charges (« QPFC ») afférente aux dividendes

Par Iosif Cozea, Avocat | Mazars Société d’Avocats

La qualification en tant qu’impôt de la QPFC applicable aux dividendes bénéficiant du régime mère-fille enfin retenue en 2022 (i.e. CE 8e et 3e ch., 5 juillet 2022, n°463021 Axa) ouvrait la possibilité de demander l’imputation sur l’impôt sur les sociétés les crédits d’impôt conventionnels correspondant aux retenues à la source supportées à l’étranger sur les distributions de dividendes.

Avant le 31 décembre 2022 des réclamations en ce sens ont été déposées par les groupes concernés et notamment les groupes ayant (i) perçu des dividendes de sociétés situées dans un Etat ayant signé une convention fiscale avec la France et prévoyant un crédit d'impôt au titre des retenues à la source prélevées sur dividendes; (ii) supporté une retenue à al source dans l’Etat de source des dividendes ; (iii) soumis lesdits dividendes au régime mère-fille ; (iv) été bénéficiaires fiscalement au titre de l’exercice ; et (v) démontré avoir supporté des frais réels se rapportant à ces dividendes inférieurs à la QPFC de 5%.

Cependant, demeurait une interrogation quant au quantum de l’imputation. La plupart des groupes concernés ont, afin de préserver leurs droits, déposé des réclamations en retenant comme base d’imputation le montant total de la QPFC.

Par une décision en date du 7 avril 2023 (CE, 9e et 10e ch., 7 avr. 2023, n° 462709, A. Raymond et Cie) le Conseil d’Etat vient enfin clarifier le quantum de l’imputation. Le Conseil d’Etat indique que le montant de l’imputation devra être égal « au produit du taux de l’impôt français et de la différence entre la quote-part forfaitaire et le montant des frais réellement exposés ».

Si la zone grise du quantum de l’imputation est désormais écartée, il restera désormais, et ce n’est pas chose aisée, pour les sociétés de justifier du montant des frais réels liés à ses participations étrangères…

Recommandation : pour les groupes qui n’auraient pas procédé à une réclamation en 2022 relative aux exercices 2019 à 2021, il conviendrait de demander le remboursement de l’impôt indûment versé au titre des exercices 2020, 2021 et 2022, l’exercice 2019 étant désormais prescrit.

Source : CE, 9e et 10e ch., 7 avr. 2023, n° 462709, A. Raymond et Cie

Brève | Délai de production des justificatifs de l’exonération des livraisons intracommunautaires   

Par Johanna Silbert, Fiscaliste | Mazars Société d’Avocats 

Le 2 mars 20231, la CJUE s’est prononcée à propos du délai de présentation des preuves relatives à l’exonération de TVA des livraisons intracommunautaires.  

La Société Nec avait réalisé des ventes de biens depuis la Slovénie vers un autre Etat membre de l’Union européenne. Lors d’une procédure de contrôle TVA, certains des documents justificatifs des livraisons n’ont pas été produits, et ne l’ont été qu’à la suite de l’émission du procès-verbal de contrôle fiscal.  

L’autorité fiscale a ensuite adopté une décision d’imposition, considérant que les conditions d’exonération de la TVA sur les livraisons n’étaient pas remplies, ne prenant pas en compte en raison de leur présentation tardive, les éléments de preuve présentés.  

La question préjudicielle était celle de savoir si une réglementation nationale pouvait interdire de produire de nouvelles preuves, établissant que les conditions permettant de bénéficier de l’exonération des livraisons intracommunautaires sont remplies, au cours de la procédure administrative de premier niveau, à savoir dans les observations sur le procès-verbal de contrôle fiscal qui est émis avant l’adoption de la décision d’imposition.  

La Cour répond par l’affirmative, sous réserve que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés.  

La décision de la CJUE élargit le champ d’application de sa décision rendue en 20212, dans laquelle elle avait jugé qu’une demande de remboursement de la TVA pouvait être rejetée lorsque l’assujetti n’avait pas, dans les délais impartis, présenté à l’administration tous les documents pour prouver son droit au remboursement de la TVA. 

1Affaire C-664/21
2Affaire C-294/20, 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing

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