CSRD : quel impact sur les entreprises marocaines ?

Avec l’adoption de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) par l’Union Européenne, des entreprises marocaines se trouvent face à une nouvelle réalité : un besoin croissant de transparence et d’engagement en matière de durabilité. Si cette réglementation présente des défis, elle offre également de nombreuses opportunités pour se préparer à un avenir plus responsable et compétitif.
Interview de Salah Eddine Bennani, Partner – Strategy, Management & Sustainability Consulting, Forvis Mazars

Qu’est-ce que la CSRD en bref ?

La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) est une directive européenne adoptée en 2022 qui oblige les entreprises à publier des informations détaillées sur l'impact de leurs activités sur la société et l'environnement, ainsi que sur leur gestion des risques liés à la durabilité. Elle apporte d’importantes évolutions dont notamment :

  • Une démarche rigoureuse fondée sur une analyse de double matérialité : matérialité d’impact (ie. l’impact de l’entreprise sur l’environnement, la société et les parties prenantes) et matérialité financière (l’impact des phénomènes environnementaux et sociaux sur l’entreprise) ;
  • Douze normes ESRS cadrant le reporting ESG (Environnemental, Social, Gouvernance) pour plus de clarté, de cohérence et de comparabilité ; ces normes se traduisent en près de 80 DR - Disclosure Requirements (exigences de publication) et environ 1.100 DP  - Data Points (informations chiffrées et qualitatives) ;
  • L’obligation de certification des informations publiées, à travers un audit externe ; des sanctions en cas de non-conformité à la fois sur le plan civil et pénal.

 

Quelles entreprises marocaines sont concernées par la CSRD ?

La CSRD revêt un caractère transfrontalier. Elle s’applique à un large éventail d’entreprises européennes mais également aux entreprises non-européennes qui ont des intérêts économiques dans l’UE. En particulier lorsqu'elles ont des titres cotés dans l'UE, lorsqu'elles ont des opérations substantielles au sein de l'UE (chiffre d’affaires en direct ou à travers une succursale européenne), et lorsqu'elles ont des filiales dans l'UE qui relèvent du champ d'application de la CSRD. La CSRD intègre également un « effet domino » : l’obligation de reporting de durabilité conforme à la CSRD s’étend des entreprises assujetties (européennes ou non) à leurs sociétés-mères et à toutes les autres sociétés consolidées par ces dernières, quelle que soit leur nationalité et même en l’absence de chiffre d’affaires sur le marché européen.

En bref, tous les secteurs d’activité sont concernés, toutes les entreprises filiales de groupes internationaux présents dans le marché européen, tous les groupes marocains ayant des filiales ou succursales dans l’UE, toutes les entreprises marocaines ayant une forte activité sur le marché européen doivent vérifier leur obligation vis-à-vis de la CSRD.

 

Comment vérifier si une entreprise marocaine est soumise aux exigences de la CSRD ?

Plusieurs configurations existent selon que la société est émettrice de titres cotés dans l’UE ou non, et selon les critères d’effectif, de total bilan, de chiffre d’affaires réalisé dans l’UE… Selon les cas, l’entreprise marocaine peut être tenue de publier son 1er rapport de durabilité certifié conforme à la CSRD en 2025 (portant sur l’exercice 2024), en 2026, en 2027 ou en 2029. Afin de faciliter aux entreprises marocaines l’identification de leur obligation vis-à-vis de la CSRD, Forvis Mazars met en ligne un formulaire simplifié qui permet d’avoir une réponse immédiate à cette question en 2 minutes : ce formulaire est accessible à partir de ce lien.

 

En Europe et aux Etats-Unis, différentes remises en question des orientations réglementaires sont observées en matière de durabilité. La Commission Européenne semble viser une simplification drastique voire la suppression du reporting de durabilité. Qu’est-ce que cela implique ?

La mise en application de la CSRD passe en premier lieu par sa transposition dans les lois de chaque pays membres de l’UE. Plusieurs pays parmi les 27 sont en retard à ce niveau par rapport au calendrier fixé par la directive. En outre, plusieurs parties militent pour un choc de simplification des contraintes administratives et réglementaires pesant sur les entreprises européennes notamment en matière de taxonomie verte, de reporting de durabilité (CSRD) et de devoir de vigilance (CSDDD). À ce titre, la Commission Européenne, dans la continuité de la « boussole pour la compétitivité » publiée fin janvier, prévoit un « paquet Omnibus » fin février. Son contenu est toujours en cours d’élaboration, cependant l’on sait – de ce qui a été rendu public par certains pays – que les demandes tournent principalement autour de paramètres techniques d’application de la CSRD, sans une remise en cause des fondamentaux. Les modifications pourraient comporter :

  • une différenciation des ETI comme une catégorie d’entreprises à part entière en distinction par rapport aux grandes entreprises et aux PME ;
  • un remaniement dans le calendrier d’application notamment pour les PME et les ETI ;
  • une plus grande convergence entre certaines ESRS (en particulier celles relatives au chapitre environnemental) et d’autres normes déjà en vigueur ;
  • une réduction voire un abandon du projet d’ESRS sectoriels spécifiques ;
  • une réduction du nombre de DR – Disclosure Requirements et de DP – Data Points ;
  • une simplification des modalités techniques de publication du reporting…

Il faut rappeler, toutefois, que cet éventuel changement devra passer par les circuits législatifs des instances européennes (Commission, Parlement, Conseil) et des parlements nationaux, donc un calendrier qui pourrait être long. En ce qui concerne les entreprises marocaines, un changement substantiel dans les dispositions de la CSRD semble peu probable à ce stade.

 

Cette nouvelle directive induit-elle une nouvelle surcharge réglementaire pour les entreprises marocaines ?

Certes, la mise en conformité avec la CSRD représente un challenge de taille : le reporting n’est qu’un output à la fin ; plus important est le processus pour y parvenir (passant par l’analyse de double matérialité, l’analyse des activités au regard de la taxonomie verte, la justification des informations à publier, leur rédaction conforme…). En revanche, c’est cette démarche structurée qui fait l’originalité de la CSRD et qui représente, in fine, un outil pour les entreprises pour réexaminer leur stratégie business et leur mode de fonctionnement, identifier des risques qui - souvent - étaient hors radar et de nouvelles opportunités de développement.

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