Le management par la confiance

Le 19 novembre 2024 |
Entre le Global Drucker Forum [1], consacré les 14 et 15 novembre à « The Next Knowledge Work », et la Cité de la Réussite [2] les 23 et 24 novembre, sur le thème de « La Confiance en Questions », deux événements dont Forvis Mazars est un partenaire fidèle, l’occasion nous est donnée de proposer une réflexion sur le management par la confiance.

Le management : une technologie sociale

Il existe une vision romantique du management qui ne permet pas toujours de rendre compte de la complexité pratique d’être manager. Pour éviter de tomber dans des injonctions contredites à peine émises, prenons un angle : le management, c’est une technologie sociale. Comme toute technologie, elle a évolué, s’est raffinée mais a aussi créé ses propres applications, indépendantes des besoins qu’elle était censée servir à l’origine. Dit avec les mots d’aujourd’hui, c’est une technologie sociale « générative ».

Au départ, c’est-à-dire devant la nécessité d’organiser le travail industriel en tenant compte de l’absence de compétences d’ouvriers venus des campagnes sans qualification, avoir confiance dans leur capacité à apprendre vite à devenir des artisans complets maîtrisant une œuvre complexe n’était pas économiquement raisonnable. Il fallait donc organiser le travail en tâches isolées, faciles à répéter sous le contrôle d’un contremaître, en échange d’un salaire souvent meilleur que celui de l’artisan compétent. Mais il aurait été vain de « faire confiance » dans l’ouvrier comme on pouvait l’avoir dans l’artisan qui maîtrisait un savoir long, transmis par compagnonnage. La seule confiance en jeu, c’était celle de la solidarité ouvrière d’un côté, et celle de la ligne de commandement entre la maîtrise, les ingénieurs et les propriétaires de l’entreprise.

Dans l’après-guerre, la vie professionnelle s’est machinisée (la confiance dans la machine était plus facile que dans la bonne volonté humaine) et donc tertiarisée. Il fallait gagner de l’efficacité en organisant, et ce fut pendant soixante ans l’avénement des carrières dans les bureaux. La confiance devenait une revendication plus forte, mais qui ne pouvait s’acquérir que par une progression professionnelle hiérarchisée. La confiance pouvait se conquérir, dans des univers sociaux – physiquement – moins violents. C’était l’époque des « petits chefs » certes – moins que dans le monde ouvrier – mais surtout celle des collègues.

A l’extrême fin du vingtième siècle, la révolution technologique en cours a accentué l’intellectualisation du travail, c’est-à-dire sur une durée longue la diminution constante de sa pénibilité physique. Mais plus le travail devient intellectuel, plus il réside dans la boîte noire, le cerveau de l’individu et moins l’effort est contrôlable. Seul le résultat du travail devient visible, et encore ne peut-on être certain d’en attribuer la paternité au seul individu.

Le basculement majeur, dans cette évolution de 70 ans, c’est que la performance, c’est le résultat, et non plus l’effort. Il a donc fallu, avec le temps, faire confiance à l’individu pour l’effort fourni, et ne juger et rémunérer que le résultat de cet effort. Être manager, c’était à l’origine ne pas avoir confiance dans l’effort fourni, et donc le contrôler, le motiver, l’encourager. Il reste des scories de cette conception initiale du management : le souci de l’engagement.

L’engagement, c’est le témoin de la confiance pour le manager angoissé. Si on y réfléchit, on n’en a guère besoin dans un monde parfaitement productiviste. Si vous avez le choix entre un désengagé hyper efficace et un engagé finalement assez peu productif, vous hésiterez, vous êtes d’ailleurs en train de le faire en lisant ce texte. Le nœud du problème, c’est l’absence de corrélation documentée entre engagement, productivité et confiance. Illustration la plus saillante du moment : la confiance des managers dans les salariés qui télétravaillent. Interrogés, ces derniers estiment, à 87%, être autant ou plus efficace, ce que pensent seulement 12% de leurs managers3. Peu importe qui a raison, il y a une incompréhension majeure et une défiance croissante, et ça conduit à du mauvais management fondé sur une paranoïa.

 

Alors, qu’est-ce que pourrait être un management par la confiance en 2025 ?

Les réponses usuelles à cette question se concentrent principalement sur les attitudes du manager, sur sa capacité à générer la confiance, ou au moins ne pas l’abimer. Moins courante mais de plus en plus populaire, la théorie de la sérénité psychologique4 s’intéresse à la dynamique des équipes, la confiance entre collègues. Mais y-a-t-il des conditions ou des limites organisationnelles à la confiance ? C’est tout l’objet de recherches plus récentes en management, elles-mêmes s’appuyant sur les travaux d’anthropologie un peu plus anciens. En quelques mots, la confiance et la communication sont les moyens les plus efficaces de coordonner l’activité humaine jusqu’à une certaine taille (entre 100 et 230 personnes)5 mais au-delà deviennent dysfonctionnelles, et nécessitent le recours à des formes plus structurées d’organisation et de hiérarchies. Mais ces structures plus « monumentales », en retour, détruisent la confiance individuelle, interindividuelle et organisationnelle6.

Dans la célèbre équation de la confiance7, tellement utilisée dans nos métiers de services professionnels, on identifie un numérateur qui multiplie la compétence, la fiabilité et l’intimité, tandis que le narcissisme et le centrage prioritaire sur son intérêt en constituent le dénominateur toxique. Tout dans cette formule est clair, en dehors sans doute de cette notion d’intimité. Cette intimité, c’est en réalité le périmètre du cercle de confiance. Tout l’enjeu du management par la confiance, c’est de définir une limite de taille aux groupes opérationnels générant de l’efficacité et de la croissance, de sorte que la confiance humaine ne soit pas écrasée par le monumentalisme de l’organisation. Mais aussi, dès lors, de valoriser chacune de ces communautés dans un édifice d’ensemble.

 En résumé, le management par la confiance, c’est la capacité pour les dirigeants de grandes organisations à préserver à des « petites » unités à taille humaine des périmètres d’autonomie réelle, sans injonctions monumentales, et à valoriser ce mode de fonctionnement au-delà de cette simple communauté. Chez Forvis Mazars, l’une de ces communautés, récemment créée, a pris le nom d’Ubuntu, « je suis parce que nous sommes ». C’est une communauté, assez informelle au départ, d’associés pouvant jouer un rôle de leadership dans le futur, mais sans garantie. Une grande confiance mutuelle anime cette communauté de 65 associés d’une quarantaine de pays, ce qui en fait un réseau de coordination et d’accélération unique, porteurs d’une dynamique qui dépasse leur petit groupe fondé sur l’amitié.

Enfin, dans l’équation du management par la confiance, toute la complexité réside dans la capacité à générer une subordination choisie, une « obéissance d’amitié », qui grandit et non qui rabaisse. C’est le sujet que nous traiterons dans le débat de laCité de la Réussite « Autonomie et Responsabilisation : Oser le management par la Confiance », avec Maud Bailly, Fabienne Arata, Bertrand Dumazy et Jean-Michel Blanquer, samedi 23 novembre à 14h30 dans l’amphithéâtre Louis Liard de la Sorbonne8.

 

1  https://www.druckerforum.org/home/
https://www.forvismazars.com/fr/fr/a-propos/la-rse-chez-forvis-mazars/forvis-mazars-acteur-de-la-cite/enrichir-le-debat-d-idees/forvis-mazars-soutient-la-cite-de-la-reussite/forvis-mazars-partenaire-de-la-cite-2024
3  https://www.microsoft.com/en-us/worklab/work-trend-index
https://rework.withgoogle.com/en/guides/understanding-team-effectiveness
5  https://en.wikipedia.org/wiki/Dunbar%27s_number
6  https://rogermartin.medium.com/strategy-at-human-scale-b700feb261ea
7  https://trustedadvisor.com/why-trust-matters/understanding-trust/understanding-the-trust-equation
8  https://www.citedelareussite.com/prochaine-edition/programme/

Auteur