Se préparer au premier reporting de durabilité CSRD : un enjeu stratégique d'organisation et de gouvernance
Les grandes entreprises françaises et européennes seront sujettes à la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) dès l’exercice 2024. La plupart d’entre elles ont lancé des projets significatifs d’analyse et de transformation, afin de préparer et mettre en œuvre ce nouveau cadre réglementaire.
Former, sensibiliser : la CSRD doit être comprise à tous les niveaux comme un enjeu stratégique
Au-delà des effets de communication qui ont parfois prévalu dans le cadre des reporting DPEF, la CSRD se veut comme un outil de pilotage de la performance ESG et de la transition des modèles d’affaires des entreprises vers des modèles plus durables. C’est donc un véritable changement de paradigme, plus qu’un changement de standards de reporting. Cela exige un travail de sensibilisation et de formation des équipes dirigeantes et de gouvernance, qui permettra de s’assurer que le projet bénéficiera des sponsors au bon niveau, et donc des ressources nécessaires. C’est aussi une phase importante pour lancer les réflexions stratégiques sur l’impact business des nouvelles réglementations ESG européennes (CSRD, CBAM, Taxonomie, CSDDD, etc.) et du positionnement de l’entreprise dans la compétition internationale et sa chaîne de valeur.
Les sessions de formation sont aussi étendues par la suite aux niveaux opérationnels aussi bien pour les équipes amenées à préparer le reporting ESG que des équipes business qui seront impactées par ce changement de paradigme. Elles comprennent généralement une mise en perspective des nouvelles réglementations, une introduction détaillée à la CSRD et ses impacts, ainsi qu’une réflexion sur les effets à attendre sur l’activité de l’entreprise. Les conséquences opérationnelles et financières du règlement sur la Taxonomie Verte Européenne permettent souvent une illustration concrète des impacts de ces réglementations sur le business, tant en termes de choix stratégiques que de financement (accès et coût du crédit, considération par les investisseurs).
Anticiper la transformation de l’organisation et des processus de reporting ESG
Les projets de mise en conformité à la CSRD mobilisent l’ensemble des directions (financière, RSE, juridique, ressources humaines, opérationnelle, communication). Ils demandent donc une organisation transversale et un comité de pilotage qui inclura la direction de l’entreprise. Ces projets comportent généralement deux phases : tout d’abord, une analyse des enjeux de la CSRD spécifiques à l’entreprise, se concluant par la préparation d’une feuille de route de mise en conformité, et une seconde phase consistant en sa réalisation concrète et menant à la première publication des états de durabilité.
La définition de cette feuille de route passe généralement par les étapes suivantes :
- Confirmation du périmètre et des obligations réglementaires et analyse des textes.
- Revue de la méthodologie de l’analyse de « l’importance » (ou de la « matérialité ») selon l’approche de double matérialité propre à la CSRD et selon les indications de l’EFRAG.
- Analyse d’écarts avec les ESRS.
- Contrôle de cohérence avec le reporting de Taxonomie Verte.
Cette feuille de route va s’attacher à décrire les sous-projets qui vont devoir être conduits, souvent de front, jusqu’à la première publication. Ces projets requièrent des ressources et expertises spécifiques, non seulement d’experts ESG mais aussi en conduite du changement, contrôle interne, systèmes d’information, transformation de la fonction reporting. Par exemple :
- La rédaction d’un nouveau référentiel normatif pour le reporting ESG en normes ESRS, détaillant pour chaque obligation d’information (Disclosure Requirement) les sources, méthodes d’estimation, de calcul, etc.
- La définition d’un nouveau modèle opérationnel pour la production du reporting ESG conformément à la CSRD : cette étape est susceptible de mener à une réorganisation des rôles et responsabilités de la Direction RSE/ESG et de la Direction financière, mais doit aussi conduire à la définition du flux de remontée des données et de leur validation.
- La mise en place d’un environnement de contrôle interne pour l’information ESG similaire à celui appliqué aux données financières.
- L’identification des besoins et options en termes de systèmes d’information pour le reporting ESG, ainsi que des questions liées à la gouvernance des données ESG et du balisage selon les normes ESEF de l’information en matière de durabilité.
Il faudra s’assurer tout au long du projet que les nouveaux processus mis en place permettront le moment venu l’existence d’une piste d’audit et d’une documentation des options retenues.
Une évolution significative du rôle du comité d’audit
Par ailleurs, la CSRD confie de nouveaux rôles au comité d’audit en étendant au reporting de durabilité les responsabilités qui lui sont aujourd’hui allouées sur le reporting financier, y compris le volet digitalisation. D’une part, le comité d’audit devra en effet superviser le processus de reporting de durabilité, l’efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques en matière de reporting de durabilité et, le cas échéant, de l’audit interne en la matière.
D’autre part, le comité d’audit aura aussi la responsabilité d’informer l’organe de gouvernance adéquat des résultats de l’assurance du reporting de durabilité et d’expliquer comment cette assurance a contribué à l’intégrité de l’information en matière de durabilité et quel a été le rôle du comité d’audit dans ce processus. Il devra également suivre l’assurance du reporting de durabilité, et en particulier son exécution, en tenant compte des constatations de l’autorité compétente, et enfin revoir et suivre l’indépendance du vérificateur de l’information en matière de durabilité.
Une des premières tâches des comités d’audit est donc susceptible d’être liée à la sélection des auditeurs de l’information en matière de durabilité1. Les grands groupes français semblent vouloir opter pour une solution de « co-assurance » sur l’information en matière de durabilité en ligne avec la pratique et les obligations sur l’information financière avec la nomination de leurs deux commissaires aux comptes. Au-delà d’une simplification et une continuité des relations avec les organes de gouvernance, la co-assurance présente l’avantage de ne pas créer de nouveaux conflits avec des auditeurs tiers et de permettre de créer des synergies entre les travaux d’audit financier et un accès à des ressources plus larges.
Les procédures de vérification seront basées dans un premier temps sur l’avis technique émis par le H3C2. Dans un second temps, il est attendu qu’une norme européenne – sans doute dérivée de la nouvelle norme internationale International Standard on Sustainability Assurance (ISSA) 5 000 vienne compléter et remplacer le cas échéant ce premier texte national. Le vérificateur délivrera dans les premières années de la CSRD une assurance « modérée » tout comme pour les DPEF (Déclarations de performance extra-financières).
Néanmoins, un consensus existe pour considérer que l’objectif d’amélioration de la qualité de l’information en matière de durabilité et les risques attenants, y compris en raison de la présence d’un nouveau régulateur, vont mener à la réalisation de procédures plus approfondies, documentées selon les approches rigoureuses de l’audit financier, et couvrant des périmètres et des volumes d’information plus importants. Une augmentation substantielle des coûts liés à l’assurance des informations en matière de durabilité est donc à attendre. Une analyse coût/bénéfices de la CSRD mandatée par l’EFRAG3 concluait que les coûts liés à l’assurance modérée sur les états de durabilité pourraient représenter de 20 à 30 % des honoraires d’audit financier, ce qui est significativement plus que les coûts actuels de vérification des DPEF.
Ainsi, la CSRD imposera aux entreprises des contraintes fortes en matière de reporting qui vont représenter des coûts internes et externes significatifs ainsi que des changements en termes de gouvernance et d’organisation. Un certain nombre — qui ont déjà bien avancé dans leurs projets d’analyse et de transformation — réalisent peu à peu que les conséquences de la CSRD iront au-delà de pures questions de reporting et de communication, mais vont influencer à très court terme des questions essentielles liées au financement ou aux orientations stratégiques, mais aussi à la définition des compétences attendues des futurs leaders, et donc de leur sélection. On n’imagine plus aujourd’hui un leader incapable de lire ou de challenger un reporting financier. Il sera probablement attendu très rapidement que les leaders de demain sachent lire et interpréter les reportings de durabilité établis selon la CSRD également.
1. Les conditions de nomination des vérificateurs de l’information de durabilité seront confirmées dans le cadre de la transposition de la directive en droit français.
2. Haut Conseil du Commissariat aux Comptes, appelé à évoluer dans sa dénomination en « Haute Autorité de l’Audit » avec l’ajout de la régulation des vérificateurs de l’information en matière de durabilité dans son périmètre.
3. "Cost-benefit analysis of the First Set of draft European Sustainability Reporting Standards" – Novembre 2022, réalisée par le Center for European Policy Studies et son partenaire Milieu, à la demande de l’EFRAG.
Article initialement publié le 22 juillet 2024 dans la revue "Finance & Gestion"
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