Vendor due diligence et filialisation d’une activité ou comment fluidifier les transactions M&A
La forte dynamique constatée ces derniers mois sur le marché des opérations M&A montre que le contexte actuel de crise sanitaire est plus que jamais propice aux réorganisations qu’il s’agisse de croissance externe nécessitant des investisseurs par le biais de joint-venture ou levée de fonds, ou d’opérations de recentrage de l’activité ou désinvestissements.
Dans un marché acquéreur, les vendeurs disposent de différents outils pour attirer de nouveaux investisseurs ou acheteurs potentiels et faciliter les opérations de M&A en amont. Afin de se préparer au mieux pour la future cession, il peut être particulièrement opportun de réaliser une vendor due diligence mais également de procéder à des restructurations internes afin de faciliter l’arrivée d’un nouvel actionnaire ou céder des actifs, notamment par le biais de la filialisation d’une activité.
Vendor due diligence : un instrument de connaissance de la cible
Les diligences menées par le vendeur, communément appelées « VDD », constituent un véritable levier d’optimisation des investissements ou des cessions en ce que celles-ci permettent d’identifier des risques fiscaux en amont mais également d’anticiper la structuration fiscale de la transaction future.
La VDD, un outil d’identification des risques fiscaux
La VDD est réalisée pour le compte du vendeur avant la phase de préparation de l’entreprise à une cession ou un investissement. L’intérêt de cet exercice est d’être réalisé en amont dans le calendrier et en étroite collaboration avec le vendeur, tout en rationnalisant le calendrier des opérations et en maîtrisant la communication des informations confidentielles.
Comme pour une due diligence standard, une VDD est en premier lieu un outil d’identification des risques de la cible tout en bénéficiant d’un accès privilégié au Management et en collaborant étroitement avec ce dernier. Souvent, il peut s’agir de travaux préliminaires qui se poursuivent pendant la phase de due diligence réalisée par l’acquéreur afin de fournir des mises à jour et/ou des éléments complémentaires.
L’identification des risques fiscaux de manière objective et transparente avant le processus de vente ou d’investissement permet de formuler des préconisations et mettre en place des mesures correctives au préalable, ce qui peut être un bon argument de négociation avec les acquéreurs ou investisseurs, notamment dans le cadre des discussions sur les clauses d’ajustement de prix ou de garantie de passif.
La VDD, un outil de structuration fiscale
La valeur ajoutée de la VDD va au-delà de la simple identification des risques. En établissant un état des lieux de la cible, cela permet également de mettre en exergue les informations nécessaires à la structuration de l’opération. Ainsi, l’exercice de VDD peut être l’occasion de réaliser des diagnostics sur certains aspects d’organisation et ainsi préparer les travaux post-acquisition.
A titre d’exemple, si le passif fiscal identifié est trop important, il peut être intéressant pour un acquéreur d’envisager l’option d’un asset deal (transfert d’actifs) au lieu d’un share deal (cession d’actions). En effet, dans ce cas, le passif historique relatif aux actifs ou à l'exploitation en cours de transfert ne seront pas transférés, à l’exception d’une solidarité fiscale de l’acquéreur au paiement de l’impôt sur les bénéfices de l’exercice de réalisation de la transaction pendant une période de temps limitée entre 30 et 90 jours).
De même, il peut être également intéressant pour le vendeur d’anticiper également cette structuration en procédant à un « carve-out » ou en filialisant une activité afin de proposer une solution maîtrisée aux acquéreurs ou investisseurs afin de faciliter la reprise d’une activité ou encourager un partenariat.
Filialisation d’une activité : un instrument de réorganisation
En amont de la cession ou de la recherche d’investisseur, la filialisation par le biais d’un apport partiel d’actif peut être un outil efficace de croissance externe. Il s’agit d’une opération par laquelle une société apporte, sans être dissoute, une ou plusieurs branches de son activité à une société préexistante ou constituée à cette fin, en contrepartie de la remise de titres représentatifs de son capital social.
Toutefois, afin de bénéficier du régime de faveur visant à la neutralité fiscale de l’opération (exonérations des plus-values d’apport au niveau des cédants et enregistrement gratuit au niveau des acquéreurs), la préparation d’opération de filialisation par voie d’apport partiel d’actif nécessite en amont une soigneuse analyse des contraintes fiscales afférentes afin d’éviter les écueils quant à l’identification d’une branche complète d’activité, à la valorisation des apports et au calendrier de l’opération pour éviter toute remise en cause, notamment sur le terrain de l’abus de droit.
Sur la notion de branche complète d’activité
L’existence d’une branche complète d’activité est en principe un préalable à une opération de filialisation (à l’exception de certaines participations substantielles pouvant également bénéficier de ce régime)[1]. A ce titre, « une branche complète d'activité se définit comme l'ensemble des éléments d'actif et de passif d'une division d'une société qui constituent, du point de vue de l'organisation, une exploitation autonome, c'est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens »[2].
Toutefois, cette notion qui s’apprécie au cas par cas en fonction d’un faisceau d’indice doit faire l’objet d’une étude approfondie in concreto à la lumière de la jurisprudence et des commentaires administratifs. A ce titre, pour qualifier d’une exploitation autonome, il faut se référer à un double critère, apprécié factuellement de façon cumulative au regard de l'organisation de la société apporteuse (et non de la société bénéficiaire des apports) :
- Critère de l’autonomie interne : la branche concernée doit être réellement exploitée par l’apporteuse au moment de l’opération et constituer une organisation distincte des autres divisions de celle de la société apporteuse. Il s'agit d'une unité qui se caractérise notamment par une clientèle, du personnel, des installations propres.
- Critère de l’autonomie externe : la branche concernée doit constituer un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens dans des conditions pouvant être qualifiées de normales dans le secteur économique considéré.
S’agissant des éléments d’actifs et de passif de la branche complète d’activité, ceux-ci concernent en principe tous ceux inscrits au bilan de la société apporteuse à la date d'effet de l'opération d'apport, quelle que soit leur nature (commerciale, industrielle, financière, administrative, fiscale, etc.) et leur montant.
En pratique, une vigilance spécifique doit être apportée au transfert des salariés, des contrats d’approvisionnement, ou aux actifs conjointement utilisés par d’autres branches (immeuble, marque, services administratifs, etc.). De même, le passif latent transféré doit faire l’objet d’une analyse en amont même en présence de l’acquisition d’une société nouvelle. A ce titre, les risques fiscaux nés antérieurement à l’apport seront transférés à la société bénéficiaire du fait que le régime de faveur emporte les effets d’une transmission universelle de patrimoine. Récemment le Conseil d’Etat est venu préciser que « la société apporteuse et la société bénéficiaire de l'apport deviennent débitrices solidaires des impositions relatives à la branche d'activité concernée dont le fait générateur est intervenu antérieurement à la réalisation de l'opération d'apport, bien que la société apporteuse conserve seule la qualité de redevable légal de ces impositions »[3]. Les modalités de répartition de la responsabilité des parties à ce sujet pourront le cas échéant être prévues contractuellement dans le cadre d’une garantie de passif afin de prévenir le risque de contentieux postérieurs.
Il convient donc apporter une attention minutieuse au détourage quant à la répartition des éléments d’actif et de passif transférés. En cas de doute et afin de bénéficier du régime spécial de faveur, il peut être judicieux de solliciter un rescrit auprès de la DGFIP afin que l’administration fiscale prenne une position formelle sur le caractère complet de l’existence du branche complète d’activité[4].
Par ailleurs, si l’apport partiel d’actif ne porte pas sur une ou plusieurs branches d’activités ou des éléments assimilés ou en cas de difficulté soulevés par le transfert de certains éléments d’actif ou de passif, tels que des déficits lorsque ledit transfert n’est pas de droit (cas des déficits dont le montant excède 200.000€), le régime de faveur peut être octroyé sous réserve d’une procédure d’agrément sous certaines conditions, notamment lorsque l'opération est justifiée du point de vue économique et obéit à des motivations principales autres que fiscales[5].
En tout état de cause, il est nécessaire de documenter l’opération en amont et de veiller également à la valorisation des actifs et passif transférés, ainsi qu’au calendrier des opérations.
Sur l’importance du calendrier et de la valorisation d’une branche complète d’activité en cas de filialisation
Bien que les opérations de filialisation se trouvent facilitées depuis le 1er janvier 2018, l’obligation incombant à la société apporteuse de s’engager à conserver pendant 3 ans les titres reçus en contrepartie de l’apport ayant été supprimée[6], le facteur temps doit néanmoins être pris en compte, notamment dans le cadre de la clause anti-abus[7]. En effet les schémas dit « d’apport-cession » font l’objet d’une attention particulière de la part des service fiscaux qui y voient une façon d’éluder les droits de mutation sur un fonds de commerce[8].
Le calendrier du délai entre l’apport et la cession à un acquéreur devra être maîtrisée afin d’éviter une remise en cause de l’opération sur le terrain de l’abus de droit. Il sera possible de sécuriser la transaction en documentant sur les motifs économiques valables de celle-ci, tels que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l’opération.
Par ailleurs, afin de bénéficier du régime de faveur, une attention particulière doit être apportée à la parité d’échange pour la rémunération de l’apport en ce que les titres reçus doivent constituer la contre-valeur de l’apport[9]. De même, s’agissant de la valorisation des actifs, en principe les apports réalisés entre des sociétés placées sous contrôle commun doivent être transcrits d’après les valeurs comptables. Par dérogation, les opérations de filialisation d’une branche complète d’activité sont transcrites aux valeurs réelles en tenant compte de l’objectif final de l’opération, étant donné que celles-ci impliquent une perte de contrôle.
En pratique, lorsque la valeur réelle est retenue comme valeur d'apport, et du fait de sa détermination globalement pour l'ensemble de la branche complète d’activité apportée, se pose le problème de l'affectation de la valorisation à chaque élément d'actif et de passif. Ainsi, une attention particulière doit être apportée au passif apporté afin d’éviter une surévaluation du passif attaché à la branche qui équivaudrait au paiement d’une soulte et pourrait donc faire obstacle au bénéfice du régime de faveur. Il en va de même de la détermination de la parité d’échange en cas d’apport partiel d’actif, compte tenu que la différence entre la valeur réelle de l’apport et celle des titres reçus en échange est susceptible d’être considérée comme une subvention taxable au niveau de la société bénéficiaire[10]. Par conséquent, tant la valorisation des actifs et passifs transférés que la parité d’échange retenue doivent faire l’objet d’une documentation scrupuleuse afin de sécuriser ces opérations.
En conclusion, la réalisation par le vendeur d’une VDD s’inscrit dans une démarche d’anticipation et permet ainsi de raccourcir le calendrier des opérations, tout en communiquant une information indépendante de façon maîtrisée. Dans une approche « gagnant-gagnant », cet outil permet également de réduire les coûts au niveau des acquéreurs ou investisseurs potentiels et de proposer une approche « clef en main » en réalisant les opérations de restructurations nécessaires en amont, telle que la réalisation d’une filialisation d’activité. Ces outils, en facilitant les transactions M&A permettent de renverser les rapports de forces entre vendeurs et acquéreurs/investisseurs. Toutefois, le choix entre une cession d’actions, une cession de fonds de commerce ou un apport partiel d’actif nécessite une analyse financière, fiscal, juridique et social au cas par cas afin de prendre en comptes les contraintes liées à un « carve-out » dans chaque situation précise, mises en lumières par les travaux de due diligence réalisés préalablement.
[1] Articles 210 B et 817 du CGI
[2] BOI-IS-FUS-20-20, n°10
[3] CE, 9 octobre 2019, n° 414122, Société Printemps
[4] Procédure prévue à l’article L.80 B -9° du LPF institué par loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017, art. 23.
[5] Conditions de l’agrément prévues à l’article 209, II du CGI
[6] Loi de finances rectificative pour 2019 (loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017)
[7] Article 210-0 A III du CGI
[8] En cas de remise en cause, les droits de mutations sur les cessions de fonds de commerce s’appliqueraient (3% sur la fraction du prix ou de la valeur vénale comprise entre 23.000 Euros et 200.000 Euros et 5% au-delà)
[9] BOI-IS-FUS-30-20, n°30
[10] CE du 1er juillet 2020, n°418378, Sté Lafarge SA