Elle prévoit alors :
- L’organisation de « Dispositifs d’appui à la population et aux professionnels pour la coordination des parcours de santé complexes » (DAC), intégrant les réseaux de santé, MAIA, les PTA et CTA PAERPA expérimentales, dans un délai de 3 ans
- La création de Dispositifs Spécifiques Régionaux (DSR), intervenant en tant que ressources expertes dans le cadre de parcours spécifiques (en lien avec une pathologie ou une population cible) et offrant aux professionnels un appui pour la prise en charge, la coordination, la formation et les bonnes pratiques
Cinq ans plus tard, Forvis Mazars a souhaité interroger des experts opérationnels et institutionnels impliqués et croiser leurs perceptions sur le bilan du développement de ces dispositifs et les perspectives identifiées dans les prochaines années. A cet effet, nous avons recueilli le témoignage et croisé les regards des acteurs suivants :
- Marie-Aline BLOCH, Professeur honoraire au sein de l’EHESP
- Edouard HABIB, Directeur de la FACS Ile-de-France
- Béatrice PIPITONE, Responsable Adjointe du Département Parcours & Offre de Soins, Délégation Départementale de Seine-et-Marne de l’ARS Ile-de-France (ancienne responsable de mission DAC, ARS Ile-de-France)
- Sylvain CLEMENT, Directeur du DAC Cap Santé Armor Ouest, VP de la FACS Bretagne, Administrateur suppléant de la FACS nationale
5 ans après la loi du 24 juillet 2019, quel bilan faites-vous de la mise en place des différents dispositifs ? Quelle a été l’appropriation par les professionnels ?
Marie-Aline BLOCH :
Pour dresser un bilan de la mise en place des dispositifs territoriaux tels que les DAC, les DSR et les DER, il est nécessaire de distinguer les territoires, dont les dynamiques observées sont parfois très différentes. Ces disparités s’expliquent notamment par une mise en place progressive et hétérogène.
L’analyse peut également être sectorielle. En effet, bien que les DAC visent toutes les tranches d’âge et pathologies, ils poursuivent et développent les actions de dispositifs précédents, tels que les MAIA dans le cadre de la prise en charge des personnes âgées. Ils sont néanmoins moins expérimentés dans les domaines de l’enfance ou des addictions, sauf dans le cas où la fusion comportait des réseaux de santé dans ces domaines.
A ce jour, les dispositifs restent au global assez peu connus des usagers, s’expliquant par une communication variable.
Edouard HABIB et Béatrice PIPITONE :
Un bilan très positif est globalement dressé, notamment en Île-de-France, comme le souligne une enquête récemment réalisée auprès des professionnels de la région. La mise en place de ces dispositifs a permis d’étendre les possibilités de prise en charge hors tri-thématique et de diminuer le risque de patients « sans réponse », même si la capacité d’appui du DAC dépend fortement de l’offre de soins territoriale existante.
Les DAC les plus anciens sur le territoire ayant 4 à 5 ans d’activité effective, le bilan reste néanmoins récent et non homogène au regard des délais et processus de mise en place. L’ARS s’efforce de mesurer et d’améliorer en continu l’efficience de ces dispositifs même si cela s’avère complexe. La qualité du service rendu par les DAC pour les patients, l’entourage et les professionnels a été clairement soulignée.
En Île-de-France, la connaissance des DAC par les professionnels progresse et les efforts de communication doivent être poursuivis pour accroitre cette mise en visibilité.
Sylvain CLEMENT :
Le bilan dressé n’est pas un bilan à 5 ans car la mise en place des dispositifs de coordination a réellement commencé en 2016 avec les PTA (dispositifs précurseurs des DAC). Les DAC ont donc des niveaux de maturité différents selon les territoires. Les missions des dispositifs sont bien comprises par les acteurs, mais la lisibilité reste un enjeu, notamment avec les autres dispositifs en place comme les CPTS et la C360.
Comment s’est passée leur mise en place ?
Marie-Aline BLOCH :
Une nouvelle fois, les dynamiques territoriales varient fortement. Plusieurs facteurs clés expliquent ces différences : les dispositifs préexistants, l’interconnaissance et la volonté de coopération des acteurs du territoire. Les ARS, tout comme les Conseils Départementaux, ont joué un rôle important.
Edouard HABIB et Béatrice PIPITONE :
La mise en place des dispositifs franciliens a nécessité une mobilisation importante de ressources et une phase d’adaptation de 1 à 2 ans. Beaucoup de mouvements de personnels ont été enregistrés durant cette période de fusions et de réorganisations. Cependant, ce temps de changement a permis de progressivement intégrer la logique de prise en charge "tout âge et toute pathologie", une grande avancée pour les territoires. De plus, les DAC ont initié une démarche d'animation territoriale en allant à la rencontre de nouveaux partenaires. La mise en place a nécessité de la proactivité pour répondre aux nouvelles demandes ainsi qu’un travail de recensement des ressources locales, qui se poursuit et qui est aujourd’hui un atout majeur.
Sylvain CLEMENT :
La mise en place a été hétérogène selon les territoires. L’accompagnement des gouvernances et des équipes a été crucial, notamment pour favoriser l’adhésion des nouveaux porteurs de DAC à la transformation de leurs missions. Les Fédérations des dispositifs de ressources et d'Appui à la Coordination des parcours en Santé (FACS) ont joué un rôle clé dans la conduite de ce changement, créant un espace de dialogue. L’ARS a aussi joué un rôle proactif, assurant le bon déploiement des dispositifs, avec l’adhésion des acteurs locaux.
Quelle mise en œuvre effective aujourd’hui sur le territoire ?
Marie-Aline BLOCH :
Les DAC ont aujourd’hui plusieurs missions : l’information et l’orientation des professionnels et des usagers (missions d’évaluation des besoins, d’accompagnement, de coordination) ainsi que la coordination territoriale. Auxquelles s’ajoutent, avec le cadre national d’orientation, un observatoire permettant d’améliorer l’accompagnement et les parcours sur les territoires ainsi qu’une mission d’évaluation de politiques publiques proposant aux DAC des premiers indicateurs de suivi et d’impact. L’articulation avec d’autres dispositifs comme les CPTS ou les C360 reste très variable selon les régions et les dynamiques hétérogènes.
Edouard HABIB et Béatrice PIPITONE :
Suite au bilan positif du démarrage en Île-de-France, une phase d’état des lieux, de consolidation des travaux lancés et de montée en charge est à mener, avec un engagement de l’ensemble des parties prenantes. Aussi, pour stabiliser, consolider et renforcer les actions des DAC, des ressources supplémentaires (humaines, matérielles, financières, SI…) sont nécessaires. Des expérimentations sont également en cours comme la présence de référents de parcours DAC au sein de la régulation du SAMU (départements 44, 77, …) ou l’adressage aux DAC des patients complexes multi-usagers des services d’urgences (Grand-Est) où les DAC contribuent activement à l’amélioration des parcours et au maintien à domicile, ainsi qu’à la prévention des ré hospitalisations évitables.
Sylvain CLEMENT :
Aujourd’hui, la phase de déploiement est terminée. Nous sommes désormais dans une phase de montée en charge. L’articulation avec les autres acteurs et dispositifs territoriaux devra être améliorée et précisée (missions, champs de compétences…). Concernant les DER et les DSR, des fragilités réglementaires et un décalage entre les moyens octroyés et leurs missions freinent leur stabilisation.
Quels sont les apports et les limites identifiés ?
Marie-Aline BLOCH :
Les principaux apports de la mise en place des dispositifs territoriaux sont une meilleure clarification du maillage territorial et une meilleure prise en charge de certains publics (ASE, handicap…), en coordination avec les dispositifs existants (C360…). Aussi, pendant la crise du Covid-19, les DAC ont montré leur agilité et leur capacité de mobilisation rapide. Cependant, la mise en place de ces dispositifs a exigé beaucoup de temps et d’énergie, avec notamment des renouvellements d’équipes à la suite des fusions, nécessitant une reconstitution de l’interconnaissance et de la confiance. De plus, les DAC doivent encore à ce jour trouver un équilibre dans leurs missions, dont le nombre et la densité sont importants.
Edouard HABIB et Béatrice PIPITONE :
Le service rendu nécessite encore d’être précisé, harmonisé et valorisé. Les textes et référentiels régionaux et nationaux manquent souvent de détails à ce sujet. En effet, bien que la mission d’accompagnement et d’animation territoriale soit définie, il existe une hétérogénéité significative des services et fonctionnements d’un territoire à l’autre, ces derniers dépendant notamment des équipes disponibles (ex. présence ou non de médecin). Un service minimal commun doit pouvoir être assuré, avec un objectif crucial d’harmoniser les prestations (ex. accompagnement physique aux rendez-vous médicaux ou autres, définition de l’accompagnement intensif au long cours, quelle prise en charge en cas de refus de soins ?).
Les diagnostics ont permis de mettre en lumière des spécificités territoriales, notamment les besoins des populations et les ressources professionnelles. Dans les territoires dépourvus de ressources, la charge pour le DAC peut être accrue, tandis que dans ceux où les ressources sont plus conséquentes, un travail de coordination intense est nécessaire. De ce fait, il est parfois difficile d’estimer les ressources et financements à allouer à un DAC en fonction des caractéristiques de son territoire. Ces deux scénarii militent pour l’interconnaissance des acteurs et la coordination de ces derniers.
Sylvain CLEMENT :
Les professionnels ont globalement bien adhéré aux changements de missions et les dispositifs répondent à un besoin réel sur le terrain. Cependant, la pérennité du modèle économique soulève des questions, notamment concernant le financement via le FIR, qui varie d’un territoire à l’autre. Le manque de lisibilité des actions de chaque dispositif constitue également une limite.
De plus, la tarification réglementaire pour les DER et les DSR doit être révisée, conformément à leurs rôles et actions, car elle représente un frein pour ces derniers.
Quels sont selon vous les perspectives et principaux enjeux identifiés pour les prochaines années ?
Marie-Aline BLOCH :
La définition d’indicateurs, d’ores et déjà initiée, pourrait clarifier les missions des DAC et leurs impacts ainsi que celles des autres acteurs. Aussi, le renforcement de la collaboration avec les autres dispositifs territoriaux est crucial, en incluant un volet de conduite du changement pour les acteurs institutionnels, les professionnels et les usagers. Pourrait également être impliqués dans cette coordination, via de la communication et de la sensibilisation, la population des territoires en étant notamment sensibilisée au repérage de situations de vulnérabilité. Au-delà, la rationalisation et la simplification de la coordination sont nécessaires. Également, il semble essentiel de redimensionner les ressources en fonction des besoins et spécificités locales.
Enfin, la formation des professionnels, associée aux développements des dispositifs mais aussi aux turn-over afférents est un axe de développement. Des communautés de pratiques se développent dans certains territoires, permettant un travail collectif à ce sujet.
Edouard HABIB et Béatrice PIPITONE :
Plusieurs enjeux peuvent être identifiés pour les prochaines années.
D’une part, l’animation des dispositifs territoriaux, souvent sous-estimée, joue un rôle crucial dans la dynamique de coordination. Le DAC ne doit pas seulement traiter des situations particulières, mais également œuvrer de manière systémique avec les acteurs du territoire et déployer un observatoire des ruptures de parcours afin de contribuer à améliorer l’offre territoriale avec les autorités de régulation.
D’autre part, une évaluation du service rendu sur chaque territoire pourrait être effectué. Il est important de capitaliser sur les ressources actuelles et de faire, si besoin, évoluer les services en tenant compte des spécificités locales. Une pause des évolutions législatives permettrait de se concentrer sur le fait de stabiliser les DAC et de clarifier les référentiels de missions et de services. A ce titre, il pourrait notamment être bénéfique d’établir des catégories et nomenclatures de services rendus (cf. nomenclatures ROR/ESMS) pour améliorer la lisibilité et la compréhension.
Aussi, une évaluation des actions menées semble indispensable, à l’instar des modèles de la HAS. Un référentiel qualité national des DAC est attendu.
Également, les articulations entre les DAC et d’autres dispositifs doivent être renforcées (DSR, DER, services d’urgence et SAMU, CPTS, …).
Le financement est également un enjeu pour les Dispositifs d’Appui à la Coordination. En effet, une réallocation régionale des ressources est nécessaire, afin de garantir une bonne adéquation avec les missions confiées pour les besoins du territoire.
En outre, le recrutement est aussi majeur pour assurer la continuité de l’accompagnement. Une équipe adéquate est essentielle pour un fonctionnement optimal ; de ce fait, la mise en œuvre rapide du Ségur est indispensable pour assurer la compétitivité RH des DAC par rapport au reste du secteur et les difficultés de recrutement nécessiteraient des solutions innovantes, comme des systèmes d’exercice médical partagé avec la ville ou l’hôpital.
Aussi, la formation des équipes de DAC doit être renforcée pour professionnaliser les acteurs, notamment en santé mentale, connaissance de la précarité et du handicap.
Enfin, la qualité des outils métiers est primordiale pour assurer des services de qualité. Le système d’information des DAC devrait être opérationnel d’ici fin 2024 et des données consolidées seront disponibles dès 2025.
Les DAC étant désormais créés, une nouvelle étape d’évaluation, d’harmonisation et d’amélioration du service rendu et de professionnalisation peut désormais être lancée. En perspective, la généralisation des observatoires de ruptures de parcours avec les ARS, les CPAM et les Conseils départementaux dans le cadre du SPDA doit pouvoir permettre que les DAC jouent leur rôle d’animation territoriale et d’appui à l’amélioration des pratiques et de l’offre territoriale.
Sylvain CLEMENT :
Maintenant que le déploiement est effectué, les perspectives incluent un ancrage pérenne tout en restant agile et adaptable. Il est crucial de stabiliser les dispositifs, de capitaliser sur les acquis et de continuer à s'engager sur les missions des DAC.
Par ailleurs, la formation à la gestion de parcours complexes est essentielle ; elle doit pouvoir être intégrée dans les cursus des référents mais également dans ceux des professionnels de santé pour les sensibiliser à la coordination territoriale.
En conclusion
Relativement récente, la mise en place des DAC est progressive sur les territoires, fonction notamment de l’existant. En coordination avec les autres dispositifs territoriaux, leur champ d'actions, couvrant toutes les tranches d’âges et pathologies, a permis d’étendre les possibilités de prise en charge et d’ainsi réduire les ruptures de parcours. Il implique toutefois la mise en place d’une organisation à la fois stabilisée et flexible.
A ce titre, la mise en place de ces dispositifs a d’ores et déjà engagé de nombreuses ressources et actions de conduite du changement (liées notamment aux modifications de missions et d’équipes). Ces actions de sensibilisation, de formation, de recrutement, d’accompagnement, pourront être poursuivies dans la phase de consolidation puis de montée en charge progressive à venir.
Par ailleurs, bien que les DAC soient progressivement identifiés sur l’ensemble des territoires, la lisibilité de leurs actions, leur articulation et collaboration avec les dispositifs existants restent un enjeu.
La poursuite du recensement des ressources locales et de leurs champs d’application peut notamment répondre cet enjeu.
Pourront ensuite éventuellement s’ajouter la formalisation d’un relevé d’actions et services, comprenant un socle commun et un socle relatif aux spécificités locales, ainsi qu’un renforcement de l’animation territoriale.
La précision des actions et services portés par chaque dispositif répond également à l’enjeu du dimensionnement des ressources allouées. La poursuite de la définition d’indicateurs de suivi et d’évaluation pourra également clarifier ce point.
L’animation territoriale tend quant à elle à favoriser l’adhésion des parties prenantes des territoires, toutes concernées par ces évolutions, ainsi qu’à valoriser les actions de chacun.
Article rédigé par Diane Josselin, consultante senior Forvis Mazars