I – Rappel des faits et de la procédure
Les faits de l’affaire ont trait à l’acquisition par la société Lilas France des titres de la société LFF selon le séquencement suivant :
1. Tout d’abord, Lilas France acquiert une fraction des titres LFF auprès de leur société mère commune établie au UK. Cette acquisition est financée par une augmentation de capital réalisée par la société mère UK qui a reçu en contrepartie des actions ordinaires et de préférence.
Faute de liquidité, la prime d’émission relative à cette augmentation de capital a été inscrite en compte-courant débiteur avant d’être distribuée partiellement à la société mère).
2. Ensuite, Lilas France acquiert la fraction restante des titres LFF auprès d’un fonds d’investissement tiers. Cette acquisition est financée par des augmentations de capital et des financements obligataires.
A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration a considéré que la première opération d’acquisition, auprès de la société mère commune étrangère, entrait dans le champ de l’amendement Charasse. Pour calculer les conséquences financières de son rehaussement, le Service a retenu le prix d’acquisition des titres LFF, diminué uniquement des apports en numéraires ayant effectivement servi à financer l’acquisition des titres LFF.
Lilas France avançait alors l’argument selon lequel la prise en compte de toutes les augmentations de capital réalisées de manière concomitante abouti à un prix d’acquisition nul et donc à l’absence d’application de l’amendement Charasse.
II – Décision de la cour administrative d’appel de Paris
La CAA de Paris rejette l’argumentation de la société Lilas France principalement au motif que Lilas France ne pouvait déduire que les apports en numéraires utilisés pour l’acquisition de la société LFF. En effet, au cas présent, les juges d’appel considèrent que Lilas France a utilisé une partie des apports pour le remboursement de la prime d’émission constituée préalablement et non entièrement pour l’acquisition de la société LFF.
Par ailleurs, sur le terrain de la charge de la preuve, la cour considère que la société requérante n'a pas fourni de méthode alternative ni d'éléments probants pour contester la répartition des fonds utilisée par l'administration fiscale, et n'a donc pas démontré que la somme admise en déduction était erronée.
Enfin, les juges rejettent l’argument selon lequel la doctrine administrative BOI-IS-GPE-20-20-80-20 commentant l’amendement Charasse est opposable à l’administration fiscale en ce qu’elle ne prévoit pas la condition d’affectation des fonds.
III – Portée de la décision rendue
Cette décision interpelle les praticiens du droit fiscal à plusieurs égards.
En premier lieu, par sa lecture extensive des dispositions de l’article 223 B, al. 6 du code général des impôts qui ne prévoit pas de condition d’affectation des fonds apportés lors d’une augmentation de capital à l’acquisition des titres. L’article 223 B, al. 6 du code général des impôts ne fait preuve d’aucune ambiguïté. L’article est suffisamment clair et permets de déterminer les conditions d’application de l’amendement Charasse établie par le législateur. Dès lors, on ne peut que s’étonner de la position du juge d’appel qui semble vouloir combler une carence législative qui n’existe pas.
En deuxième lieu, on s’étonnera également du rejet par le juge du principe d’opposabilité de la doctrine administrative en vertu de l’article L 80 A du livre des procédures fiscales au motif que les commentaires de la doctrine administrative « ne comportent aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application par le présent arrêt ». Une nouvelle fois l’argument ne saurait convaincre en ce qu’il sous-entend que l’application de l’article L 80 A du livre des procédures fiscales suppose une contradiction entre la loi et la doctrine. Une nouvelle fois, le juge d’appel se fait législateur et ajoute une condition nouvelle à l’application d’une loi. Au cas présent, il ne fait nul doute que la condition d’affectation n’est pas présente dans la doctrine administrative. Il nous semble alors que le principe d’opposabilité de la doctrine administrative aurait dû être appliqué.
Enfin, en troisième lieu, il convient de noter que cette problématique sur le principe d’affectation des augmentations de capital aux acquisitions réalisées a déjà été débattue dans une affaire ayant donné lieu à une décision de la cour administrative d’appel de Nancy du 18 juin 2020 (CAA de Nancy, 8 juin 2020, n° 18NC03443) et dans laquelle les juges d’appel avaient tranché en faveur du contribuable. En effet, dans cet arrêt, la CAA de Nancy indiqua que « le législateur n’a pas entendu limiter le montant des fonds apportés à la cessionnaire lors d’une augmentation de capital, réalisée simultanément à l’acquisition des titres, pouvant être admis en déduction du prix d’acquisition ».
Le pourvoi formé par l’administration fiscale contre cette décision de la CAA de Nancy n’avait pas été admis par le Conseil d’Etat. On notera toutefois que le rapporteur public, dans ses conclusions, soutenait alors la position qui est celle de la CAA de Paris dans la décision du 17 janvier 2025.
Dans ce contexte, les praticiens attendent avec impatience les suites de cette saga judiciaire et la lecture qu’aura le Conseil d’Etat sur le sujet.
CAA de PARIS, 9ème chambre, 17/01/2025, 23PA05010,
Inédit au recueil Lebon - Légifrance
Par Iosif Cozea, Avocat Associé et Laurent Tasocak, Avocats Senior Manager | Forvis Mazars Avocats