
Quand les nouvelles technologies remettent les “soft skills” au cœur de l’entreprise
Si la maîtrise technique est une condition sine qua non pour s’approprier les nouveaux outils numériques, elle ne suffira pas : ce sont les qualités humaines qui feront la différence.
Dans le monde du travail, il n’a jamais été autant question de l’avènement des soft-skills que depuis l’ère post-pandémique. Un postulat qui se renforce à mesure que l’intelligence artificielle gagne du terrain. En effet, selon l’OCDE, au sein d’environnements hyper connectés, les soft skills ont un rôle structurant pour la coordination entre équipes, la prise de décision, l’analyse ou encore la résolution de problèmes. Des qualités éminemment humaines, bien loin des champs de compétences de la machine. L’adoption des nouvelles technologies offrirait-elle paradoxalement l’opportunité de renforcer la dimension humaine de l’ensemble de nos métiers ?
Mathilde Le Coz, Directrice des ressources humaines et membre du Comité exécutif de Forvis Mazars en France, en est convaincue : “Auparavant, nous recrutions des professionnels pour endosser un métier, en se fondant uniquement sur des compétences techniques. Aujourd’hui, il est nécessaire de déconstruire cette approche pour penser des organisations pilotées par la compétence, qu’elle soit technique ou intrapersonnelle.” Pour accompagner ce changement, Forvis Mazars a lancé un chantier sur quatre ans, pour faire de l’entreprise une “Skills-based Organization”. L’objectif : cartographier toutes les compétences internes (techniques et interpersonnelles) pour repenser la globalité des processus de recrutement et la transférabilité des compétencesdes talents au sein même de l’entreprise.
L’expertise technique ne sera jamais une option
L’utilisation d’outils technologiques dans les métiers de l’audit et du conseil impose une maîtrise totale de ces derniers. La diversité des outils, qui ne cesse de croître, exige unniveau de compétence technique solide. Là où Excel suffisait autrefois, l'auditeur et le consultant doivent aujourd’hui maîtriser les data analytics et l’IA (descriptive, prédictive et prescriptive) pour interpréter les données, et prendre des décisions en toute connaissance de cause. Parmi les compétences en croissance ? La gestion des données, l’analyse statistique, l’interprétation et la communication des résultats, l’utilisation du machine learning et la mise en récit des données (data storytelling). Mais Mathilde Le Coz insiste “L’évolution technologique ne doit pas conduire à l’oisiveté”. Il ne s’agit pas seulement de maîtriser des fonctions mécaniques mais de pouvoir questionner les recommandations et les résultats générés par les outils. L’expertise technique, loin d’être optionnelle donc, permet à l’auditeur et au consultant de rester le pilote de ses missions.
L’esprit critique, la compétence à cultiver
Dans l’industrie de l’audit et du conseil, une valeur cardinale et immuable incarne la profession : celle de la curiosité, qui nourrit l’esprit critique. Mathilde Le Coz l’explique : “Les auditeurs et consultants ne doivent pas seulement comprendre les outils mais aussi questionner les données et les algorithmes qui les soutiennent. Cette curiosité intellectuelle nourrit l’intelligence situationnelle nécessaire pour comprendre l’environnement d’un client.”
Derrière chaque organisation se cache une combinaison d’hommes et de femmes, d’outils et de savoir-faire. Or, l’auditeur et le consultant doivent, en premier lieu, savoir poser les bonnes questions, émettre le bon jugement, pour instaurer un cadre de confiance. L’analyse et la créativité humaine apportent une valeur ajoutée irremplaçable que la technologie, malgré ses prouesses, ne saurait remplacer. La simple association entre plusieurs idées venant de champs différents reste, par exemple, une compétence réservée à nous autres humains (pour l’instant).
La gestion des risques : une compétence en croissance dans une ère de polycrise
Dans un contexte marqué par l’émergence de risques systémiques - climatiques, technologiques, géopolitiques -, la gestion des risques devient centrale pour les métiers de l’audit et du conseil. Ces risques, variables selon les secteurs et les régions, ne disparaîtront pas, forçant les entreprises à adopter des stratégies proactives. Développer une appétence éclairée au risque devient alors une compétence stratégique pour le métier de consultant et d’auditeur. Car ce paradigme impose de transformer la gestion des risques en un levier de décision et structurant pour une entreprise.
Face à ces multiples transformations – et celles à venir –, et à l'adoption massive de l’IA, Mathilde Le Coz imagine un futur où un référentiel commun de compétences pourrait structurer la profession, à l’image du TOEIC pour les langues. “Chez Forvis Mazars, nous avons identifié des centaines de compétences, mais l’objectif est de se concentrer sur environ 200 compétences administrables, régulièrement mises à jour pour suivre leur évolution.” Elle souligne également l’importance des compétences “cachées” révélées par des expériences en dehors du travail. Depuis cinq ans, l’entreprise autorise d’ailleurs le slashing (l'occupation simultanée par une personne de plusieurs emplois) permettant aux collaborateurs de s’épanouir en parallèle de leur activité principale et d’enrichir leurs savoir-faire. "Les compétences sont là, sous nos yeux. En tant que DRH, il nous incombe de les repérer et de les mobiliser au service de la mission de l’entreprise, afin de soutenir, d’accompagner et d’embrasser le progrès”, conclut Mathilde Le Coz.
Article initialement publié dans le média en ligne L'ADN le 24 février 2025.
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