
L’IA et l’audit, un mariage de raison et de qualité
Exit les scénarios catastrophes : l’Intelligence Artificielle s’impose comme un atout pour libérer du temps, renforcer l'efficacité opérationnelle et créer des synergies inédites entre générations. Reste à encadrer son usage pour en exploiter tout son potentiel.
Par Virginie Chauvin, Florence Sardas et Kevin Egee.
Peur, « IA-anxiété » et scénarios de basculements : voilà les termes qui ont fait les gros titres ces deux dernières années. Pourtant, le fantasme d’un bouleversement instantané et radical n’est toujours pas devenu réalité. L’IA n’est pas le « big bang » escompté. Elle s'impose surtout comme une transformation profonde et durable, qui permet de re-questionner les approches de tous les métiers. Y compris ceux de l'audit et du conseil. Mais jusqu'où doit-on l'adopter ? Selon Virginie Chauvin, Associée, membre du Comité exécutif de Forvis Mazars en France, l'enjeu actuel est de savoir comment utiliser l’IA intelligemment dans un environnement en constante évolution. Libérant du temps et augmentant la précision, elle invite les métiers de l’audit et du conseil à se réinventer.
L’IA, une révolution de l'efficacité tout en préservant le jugement humain
Les outils d’intelligence artificielle offrent un avantage crucial pour le secteur de l'audit – et non des moindres : ils libèrent du temps sur des tâches simples ou à forte volumétrie pour permettre de se consacrer aux tâches à valeur ajoutée. Logiciels et bases de données boostés à l’IA traitent une masse d'informations plus rapidement qu’un humain derrière un tableur Excel. Et certains outils dédiés peuvent par exemple analyser des contrats ou des documents complexes avec plus de précision, en éliminant les risques liés aux erreurs d'inattention. Utilisés ainsi, les algorithmes d’intelligence artificielle permettent par exemple de détecter des atypismes et des exceptions au sein de documents. Toutefois, il est important de ne pas tout déléguer à la machine. L'humain reste essentiel pour traiter les "zones grises", là où une interprétation et un jugement critique sont nécessaires.
Alors, que faire du temps libéré par l’IA ? Dans un monde idéal, il peut être réinvesti dans le développement de nouvelles activités, qui débloquent une valeur ajoutée durable pour l’entreprise. Car les cas d’usage sont bien là, et sur un large panel de domaines. Kevin Egée, Senior manager en Audit, Forvis Mazars en France, précise : « lorsqu'il s'agit de préparer des documents de synthèse pour des présentations orales, nous faisons appel à l'IA pour générer une première trame. Cela s'applique également à nos processus managériaux, qui impliquent de nombreuses personnes. Gérer un grand nombre de collaborateurs nécessite souvent de condenser les informations et l’IA est précieuse pour faire la synthèse des informations qui nous sont transmises. » L'IA aide donc à se libérer du temps pour se concentrer davantage sur la gestion opérationnelle des équipes - et leur montée en compétences sur d’autres problématiques.
Encadrer l’usage de l’IA pour garantir l'éthique du métier
Bien que prometteuse, l’implémentation des outils d’intelligence artificielle en entreprise soulève des questions éthiques, notamment en matière de confidentialité et de gestion des données. La maîtrise de l'outil est cruciale, tout autant que la maîtrise des risques associés. Un encadrement est nécessaire pour s'assurer que les données sensibles ne soient pas compromises et pour veiller à ce que l'IA soit utilisée de manière appropriée. Il incombe donc aux responsables d’équipes de superviser et d’insuffler un esprit critique sur l’IA pour accompagner décemment les collaborateurs en question. À l’instar de ses concurrents, Forvis Mazars s’est rapidement attelé au sujet avec son initiative : la « Suite IA ». L’objectif ? « Embarquer 100 % des collaborateurs sur l’acculturation à l’IA, avec un cadre sécurisé qui garantit la confidentialité et la fiabilité des données traitées », explique Florence Sardas, Associée, Chief Transformation Officer de Forvis Mazars Group, et en charge du développement du programme.
La « Suite IA » a été élaborée dans le but d’impliquer aussi bien l’ensemble du top management que les équipes opérationnelles - et ce, sur tous les métiers. Elle a été conçue comme un programme d’acculturation à l’usage de l’IA. Un programme ambitieux, puisqu’il vise à transformer en profondeur les pratiques métiers. Comment le mettre en œuvre ? « En réunissant des groupes restreints de 20 à 25 collaborateurs, pour favoriser les synergies entre les différents métiers et identifier des cas d'usage communs. Après chaque session de formation, les participants repartent avec un kit de modules avancés », détaille Florence Sardas. Une excellente manière pour former l’ensemble des collaborateurs en moins de 18 mois.
L'IA : une opportunité insoupçonnée de faciliter la collaboration intergénérationnelle
La « Suite IA » ne se contente pas seulement d’outiller les collaborateurs : ce type d’initiatives créent aussi un terrain fertile pour insuffler des échanges intergénérationnels. Or, selon une récente étude menée par LinkedIn, 90 % des actifs considèrent que chaque génération apporte des expériences et des compétences précieuses. Les évolutions technologiques représentent donc de formidables opportunités pour les générations car l’appétence et la rapidité des compétences sont différentes en fonction des générations. Ces projets d’implémentation permettent de former des binômes, associant des collaborateurs expérimentés qui établissent un cadre protecteur ou technique, et des profils plus juniors qui s’adaptent rapidement aux outils. La combinaison de ces deux compétences est essentielle pour obtenir un produit final utilisable par tous, tout en respectant les normes de la profession. Selon Virginie Chauvin, ce type de programmes, baptisés Reverse Mentoring, est essentiel pour favoriser la diffusion des compétences et également une meilleure compréhension des enjeux.
« La valeur de nos métiers réside avant tout dans la valeur ajoutée que nous apportons à travers nos analyses et nos capacités de benchmark. Je crois à un audit de qualité, effectué par des talents de qualité. L’IA sera une véritable opportunité pour tirer le meilleur de chacun d’entre nous » conclut Virginie Chauvin. L’avenir de l’audit a donc encore de beaux jours devant lui – et ne sera pas dicté par ChatGPT.