Des poursuites facilitées par des outils efficaces
Depuis 2018 et la suppression du « verrou de Bercy », la dénonciation au procureur de la République par l’administration fiscale des contrôles fiscaux ayant conduit à des rappels d’impôt supérieurs à 100 000 € et à des majorations fiscales de 100 % et 80 %, voire de 40 % dans les cas de récidive dans les six ans est obligatoire.
Ces cas qui couvrent en pratique les situations de découverte d’une activité occulte, l’abus de droit ou les manœuvres frauduleuses ne correspondent pas à des cas d’école. En effet, on observe une tendance des vérificateurs à appliquer quasiment systématiquement la majoration de 40% pour manquement délibéré.
La TVA n’échappe pas à cette pratique. On sait par exemple que le défaut de justificatifs d’expédition sur les livraisons internationales est souvent sanctionné par des redressements importants et la pénalité de 40% est généreusement appliquée par les autorités (voir par exemple l’arrêt récent de la CAA de Paris du 17 février 2023, n°21PA03368). Par ailleurs, les défauts de déclaration ou les insuffisances de paiement de TVA sont souvent assortie de cette même majoration.
A l’heure actuelle, environ 900 plaintes sont déposées chaque année auprès de la juridiction pénale française et conduisent à mettre en œuvre la responsabilité des dirigeants d’entreprises. En outre, le parquet européen instauré en janvier 2021 et auquel 22 Etats-Membres (dont la France) ont adhéré, est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne protégés par la Directive (UE) 2017/1371 du 5 juillet 2017.
Représentant 47% des dommages estimés, la TVA fait ainsi partie des dossiers de premier plan du parquet européen qui fait état dans son rapport du 1er mars 2023 de 1117 enquêtes en cours. Ces enquêtes ont pu par exemple mener fin 2022 au démantèlement d’un vaste réseau de fraude à la TVA (opération “Amiral”) mené conjointement dans 14 pays de l’Union Européenne.
Des risques avérés pour le dirigeant social
Les plaintes aboutissent pour certaines d’entre elles à des condamnations du dirigeant social allant de la simple amende à la peine d’emprisonnement. En France, les cas de responsabilités sont doubles.
La sanction peut d'abord être pénale, avec le délit de soustraction frauduleuse à l'impôt (Article 1741 du Code Général des Impôts) qui peut être mis en œuvre en matière de TVA. Un dirigeant social peut par exemple se rendre coupable d'un tel délit à l'occasion d'un montage sociétaire « carrousel » passé entre trois sociétés appartenant au même groupe, qui permet d'éluder le paiement de la TVA (Crim. 30 mai 2001, n° 00-86.897). Le rapport du 1er mars 2023 du parquet européen indique d’ailleurs que ces cas typiques de fraude à la TVA entrainent des dommages considérables pour les Etats-Membres de l’Union Européenne, aujourd’hui estimés à 50 milliards d’euros annuels.
D'autres textes instaurent par ailleurs des règles de responsabilité fiscale à proprement parler. Doivent notamment être mentionnés les cas de responsabilité solidaire des dirigeants sociaux pour le paiement de pénalités dues pour manœuvres frauduleuses ou inobservation répétée des obligations fiscales (Article L.267 du Livre des Procédures fiscales), et conduisant, à l’application des majorations administratives susvisées.
Ces condamnations sont d’autant plus simples à mettre en œuvre qu’elles sont validées par un principe de cumul des sanctions pénales et fiscales expressément autorisé par le Conseil constitutionnel.
Un ciblage de plus en plus abouti lors des contrôles fiscaux
L’augmentation significative des plaintes contre les auteurs d’infractions TVA et l’ouverture des sanctions aux fonctions dirigeantes est possible grâce à une nette amélioration des outils des autorités fiscales et à une meilleure formation des agents de contrôle. Le communiqué de presse du 23 février 2023 du ministre de l’économie faisant état du bilan contre la fraude fiscale et douanière souligne par exemple une hausse entre 2021 et 2022 de 30% du montant de taxe sur les salaires encaissée par les autorités, celle-ci étant en principe réputée pour sa complexité.
Les vérificateurs peuvent ainsi faire usage du « datamining » leur permettant de cibler très précisément les informations souhaitées.
Sur la base d’un simple document de procédures internes tel que la documentation de piste d’audit fiable demandée à première demande lors des contrôles fiscaux, l’administration fiscale peut par exemple relever des défauts d’émission de factures. Ces irrégularités susceptibles d’entrainer l’application d’une pénalité de 50% plafonnée à 375.000€ (Article 1737 du Code Général des Impôts) par exercice peuvent dès lors, si le manquement délibéré est caractérisé, faire tomber l’entreprise vérifiée et son dirigeant dans la voie de la poursuite pénale.
Comme l’analysent les députés Émilie Cariou et Éric Diard, à l’origine d’un rapport parlementaire (AN, rapport n° 3341 d’information du 16 septembre 2020 sur la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude), ce ne sont en effet pas les fraudes les plus sophistiquées qui se retrouvent sous le joug d’une condamnation pénale mais bien celles les plus basiques qui touchent les entreprises ordinaires.
Dès lors, si la traque contre cette fameuse fraude carrousel fait partie des objectifs affichés des législateurs, ce sont bel et bien les schémas simples d’erreurs répétées dans le temps et non corrigées par les entrepreneurs qui sont les plus sanctionnés.
A l’aune de la réforme de la facturation électronique, l’administration fiscale française aura bientôt accès en temps réel aux données fiscales déclarées et donc à une visibilité en immédiate des potentiels manquements de tous les assujettis TVA. La prudence est donc de mise car la mise en œuvre de la responsabilité pénale, cela n’arrive pas qu’aux autres.