Buurtzorg, la révolution du soin à domicile et ses petits frères français
Buurtzorg, la révolution du soin à domicile
Ainsi pour cette chronique n°2, nous souhaitons revenir sur un des pionniers dans le domaine, cité en exemple autant dans le secteur de la santé que tous secteurs confondus, référence managériale et organisationnelle : Buurtzorg, le « modèle révolutionnaire des soins infirmiers à domicile ». Nous en profiterons pour mettre en lumière ses petits frères français qui commencent leur propre révolution de l’aide et des soins à domicile.
Buurtzorg, organisation des soins libérée créée par un infirmier
Créé en 2006 aux Pays-Bas, il est fort probable que vous ayez déjà entendu parler de Buurtzorg. L’idée de Buurtzorg est née de Jos de Blok, infirmier et parti du constat que l’organisation des soins à domicile était inadaptée autant pour les patients que pour les soignants :
- Une absence de choix de l’intervenant, des actes minutés, un manque de prise en compte des spécificités de la personne et de l’évolution de sa situation
- Une logique inadaptée de rationalisation des soins et des actes, un turn-over et un absentéisme important
- Un système peu efficace et une faible satisfaction des usagers
- Des organisations hiérarchiques de plus en plus grosses et éloignées des problématiques de terrain
Un management vertical / pyramidal et une Information descendante
Face à ces constats, Jos de Blok décide de créer une organisation qui répond aussi bien aux besoins des patients et des soignants, en auto-gestion ce qui permet la liberté et la responsabilité aux soignants d’adapter leurs soins aux besoins réels. Ainsi, naît Buurtzorg : Buurt « le quartier », Zorg « soins », le modèle de « Soins de proximité », une organisation dite « organique » (contraire d’une organisation « mécanique »).
"Entendre, voir, écouter... Être présent à soi et aux autres, apprendre à percevoir son environnement et mieux comprendre ceux qui nous entourent. » Marc Galy, médecin anesthésiste |
Qui dit libérée, organique, ne dit pas chaos !
Comme un organisme vivant à son fonctionnement propre, Buurtzorg repose sur des principes, des valeurs et des rôles. La raison d’être de Buurtzorg est d’apporter un accompagnement plus adapté aux patients en fonction de leur situation personnelle, de mettre en adéquation qualité, pertinence, quantité et valeur du soin tout en permettant aux intervenants de s’épanouir en tant que soignant et individu. Les valeurs fortes qui constituent le socle de Buurtzorg et qui s’incarnent dans le mode de fonctionnement opérationnel sont : la confiance en chaque collaborateur, l’égalité intrinsèque entre tous les collaborateurs, la responsabilité (apprentissage par l'erreur et expérimentation), la liberté.
Sur le terrain, ces 4 valeurs se concrétisent avec la mise en place d’un management horizontal de type « holacratie ». Ce système d'organisation de la gouvernance est fondé sur la mise en œuvre formalisée de l’intelligence collective. Opérationnellement, Buurtzorg permet de donner la main aux équipes d’infirmiers sur les mécanismes de prise de décision, sans management intermédiaire. Il n’y a pas de services intermédiaires afin de limiter la tarification au travail de terrain et de développer la responsabilité des acteurs. L'organisation est garante du « Pourquoi », du sens, et a pour raison d’être de mettre en capacité les infirmiers à exercer sereinement leur travail. Les infirmiers sont les garants du « Comment » : « c’est celui qui fait, qui sait ».
4 grands principes soutiennent également le modèle de management de Buurtzorg :
- "Needing" : fais ce qu'il y a à faire pour le patient
- Rethinking : réfléchis à ce que tu fais, change de façon de faire si tu n'es pas persuadé que c'est la meilleure façon
- Commum sense : "utilise ton bon sens, plus que les règles ou les procédures"
- Meaningful relationships : l’organisation est basée sur des liens humains de qualité, de personne à personne, des relations qui font sens
Une équipe Buurtzorg est composée de 6 à 12 infirmiers/infirmières maximum et sans chef. L’équipe s’organise par elle-même et dès que la capacité de l'équipe de 12 est dépassée en termes de nombre de prises en soins, alors une nouvelle équipe est créée. Les équipes d’infirmiers et d’infirmières sont accompagnées par des coachs : 21 coachs régionaux qui accompagnent, sans pouvoir de décision. Les fonctions support sont composées de 50 collaborateurs pour l’ensemble des 10 000 personnels infirmiers. Pour créer la cohésion inter-équipe et garder le lien, plusieurs rituels collectifs ont été institutionnalisés dont une réunion organisée 4 fois par an pour l'ensemble des équipes et des rencontres régulières avec les coachs sur le terrain.
Un modèle qui a fait ses preuves avec des actions et résultats concrets : la prise en charge globale
Les équipes Buurtzorg sont organisées par secteur géographique accessible. Les intervenants s'organisent sur le même territoire afin de connaître la patientèle et garantir la continuité et la qualité des interventions. Chaque infirmier est responsable de la patientèle d’une zone pour favoriser la proximité et faciliter les déplacements. Buurtzorg met à disposition un intranet commun à l’ensemble des équipes pour partage d'expérience et échanges entre intervenants à domicile (maintien de la qualité et partage de bonnes et nouvelles pratiques par exemple). Des outils numériques simples ont été développés pour réduire la charge administrative et les contrôles inutiles qui pouvaient être réalisés auparavant. Le socle du parcours des intervenants est composé de formations à la gestion d'activité et de l'emploi du temps, à la démarche de recherche de nouveaux patients, à l’embauche de nouveaux collaborateurs ou encore à la communication non violente.
En 2011, Buurtzorg permettait la diminution de 40% du temps global passé par patient, la réduction de 30% des demandes d’admissions aux urgences pour les patients suivis, la baisse de la durée des hospitalisations, 60% d’arrêts de travail en moins par rapport aux autres structures, 33% de turnover en moins et la hausse du niveau de satisfaction des patients et des médecins.
La France s’inspire et plusieurs structures ont vu le jour sur le modèle Buurtzorg
Les constats faits par Jos de Blok en 2006 pour l’organisation des soins aux Pays-bas, sont des problématiques que rencontrent également les structures d’aide et soins à domicile en France. Malgré des systèmes de santé très différents, l’inspiration Buurtzorg se ressent dans les transformations actuelles du secteur. Aujourd’hui, plusieurs structures sur le territoire français ont vu le jour sur le modèle Buurtzorg : l’Association Soignons Humain, le collectif L’Humain d’abord, Alenvi, et certaines d’entre elles ont commencé leur transformation : l’ADHAP de Rouen ou encore Vivat.
Alenvi, Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale (Esus) créée en 2016 est composée de 60 employés et s’appuie sur un nouveau modèle d’organisation du travail basé sur des communautés « d’auxiliaires d’envie ». Alenvi a mis en place un management horizontal. Les règles de l’entreprise ont été élaborées avec l’ensemble des collaborateurs : par exemple, le recrutement des collaborateurs d’Alenvi se fait par les pairs, une présentation vidéo est réalisée pour chaque intervenant. Pour lutter contre la précarité dans laquelle se trouvent les intervenants, l’organisation propose des recrutements d’« auxiliaires d’envie » en CDI, 35h / semaine organisées en groupe de 10 auxiliaires. Chaque groupe travaille en autonomie et dispose de 20% de temps consacré aux travaux hors intervention à domicile (recrutement, qualité, relation client, etc.).
Si Buurtzorg est devenu en 12 ans un véritable modèle dans le domaine du soin à domicile et une référence sur la thématique innovation managériale et organisationnelle, il reste encore très peu implanté en France. La France a mis du temps à s’emparer de ce modèle. Les nombreuses initiatives en santé pour favoriser l’innovation à la fois organisationnelle et managériale dans le secteur tendent à impulser cette dynamique d’inspiration Buurtzorg. L’innovation dans le modèle économique est très attendu car il constitue le principal frein évoqué par les structures. Reste à savoir comment les structures elles-mêmes acceptent cette transformation dans un contexte financier peu propice à l’enthousiasme, surtout dans le secteur de l’aide à domicile. Un des enseignements de Buurtzorg serait de laisser les structures trouver leur propre organisation adaptée au contexte français, aux particularités de notre système de santé et de notre culture. Buurtzorg a repensé entièrement la manière de penser le soin à domicile et incarne « la réponse vient du terrain, laissons-le s'exprimer, mettons-le en capacité, faisons-lui confiance". L'innovation managériale c'est avant tout redonner du sens.
Pour aller plus loin :
Rendez-vous pour notre prochaine chronique « Comment la pédagogie inversée et particulièrement la conférence inversée peut transformer et inspirer les modèles managériaux ? »
Mélodie Fortier, Manager au sein de l'équipe Mazars Santé